jeudi 20 décembre 2012

Le Spectacle (suite)

©Cleia

...  Les enfants tentèrent de se faufiler ailleurs, mais partout aristocrates à belles perruques blanches, gens du peuple en bonnets ou cheveux, paysans à larges chapeaux, ou masques de carnaval, hommes, femmes ou enfants tous s'agglutinaient autour d'une maisonnette surmontée d'une tourelle à fenêtres rondes. Ils s'approchèrent du baladin agile et fin, habillé de noir et coiffé d'un tricorne qui, perché sur un tabouret, agitait une longue badine noire par-dessus la foule, en hurlant :

" Venez à nous belles dames et beaux messieurs, venez nombreux admirer des merveilles venues de l'autre bout des océans ! Vous n'en avez jamais vus de pareilles et jamais plus vous n'en verrez de si belles, accourez ! Vous en repartirez éblouis."

- Que fait-il Clarissa, je ne vois rien au bout de sa baguette ?

- Je n'en sais rien, il faudrait s'approcher pour comprendre ce qui se passe, essayons encore.

Ils firent une nouvelle tentative auprès de deux autres femmes, emmaillotées, tête comprise, dans leurs grands châles assortis à leurs jupes tandis qu'elles se penchaient goulûment en avant. Elles les en empêchèrent de toute la largeur de leurs larges assises drapées dans de lourds plis de coton. Gabrio observa leurs chevilles moulées dans des bas clairs et la finesse de leurs escarpins aux couleurs vives et aux boucles argentées. Tout contre, ce fut un homme aux mollets musclés dans ses bas blancs, la taille bien prise dans une courte veste rouge, aux épaulettes dorées, dont le large dos balayé par une longiligne queue de cheval brune, leur fit un rempart obstruant toute visibilité. Il semblait très accaparé par trois jeunes messieurs dont il tenait le plus jeune soulevé contre sa hanche gauche, pour le rapprocher de l'objet de toutes les convoitises, tandis qu'il semblait s'adresser aux deux autres. Un blond aux cheveux courts nous tournait le dos mais le brun, guère plus âgé que moi, nous jeta un regard plein de dédain. Je remarquai tout de suite sa tenue d'un blanc pur rehaussée d'une large ceinture de soie bleue. Je me tournai d'un air décidé vers Gabrio et le tirai en arrière.

- Nous n'y arriverons pas comme cela, viens faisons comme le baladin, montons sur un tabouret.

- Superbe ton idée, mais tu le trouves où ton tabouret ?

- Viens, je sais où il le cache.

- Qui ? Qui cache quoi ?

- Chut, sous discret, voyons ! Hier, j'ai vu les baladins préparer leur tour derrière la palissade.

- Je suis sûre que nous allons y trouver ce que nous voulons. Ils disparurent derrière les larges planches sombres, jointées sans soin, tandis que la foule jacassait et ondulait comme happée en avant par quelque magie puissante. Lorsqu'ils revinrent, leurs yeux ronds ne laissaient rien présager de bon, mais Clarissa tenait bien en main un tabouret.

- Je t'avais dit de ne rien toucher, Gabrio mais tu n'en fais jamais qu'à ta tête. Te voilà beau avec cette main toute collante, s'ils se rendaient compte que nous sommes allés fouiller dans leurs affaires, Dieu seul sait ce qu'ils pourraient nous faire !

- Je te rappelle que c'était ton idée d'aller leur emprunter ce tabouret ! Et d'ailleurs s'ils voient que tu l'as pris ce sera pire que d'avoir trempé ma main dans cette mixture blanchâtre.

- Le tabouret nous le rendrons très vite, ne parle plus et tiens, monte dessus et dis-moi ce que tu vois.

Le jeune garçon, vêtu de longues chausses et d'une simple chemise taillées dans une même grossière toile bleue, se percha sur son frêle piédestal de bois mais bien qu'il se fut hissé sur la pointe des pieds, il ne put distinguer ce qui émerveillait tant les badauds entassés devant lui. Il aperçut par contre le long filet bleu de la mer et, tendue sur le ciel d'un azur léger, la petite maison autour de laquelle tous se prosternaient. Elle était surmontée de deux étendards, un orange et un jaune qui se déroulaient dans la brise. Il leva les yeux et suivit le vol d'un goéland qui s'éloignait, un poisson brillait dans son bec puissant. Il tourna la tête vers la gauche alerté par les jappements d'un chien. Un lévrier doré, aux pattes élancées essayait d'attirer l'attention de son maître, un gentilhomme drapé dans un ample manteau rouge sang, sur des culottes courtes de satin du même rouge et des bas de fine soie blanche. Il tenait son large tricorne d'une main sur laquelle s'épanchaient  les volants délicats de sa chemise. Son étrange coiffure en ailes de corbeau lui donnait une allure inquiétante. Gabrio, surpris par le frôlement de la main de sa soeur, faillit tomber. Il descendit de mauvais gré et elle prit sa place.

.... à suivre

Marie-Sol Montes Soler

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